"Un compte rendu de cet ordre devrait embrasser également l'évolution des conceptions relatives au crime politique et à l'asile politique, à la justiciabilité des actes politiques et des décisions politiques prises selon une procédure judiciaire ; il devrait inclure jusqu'à la question de fond, celle du procès en justice proprement dit, c'est-à-dire examiner dans quelle mesure la procédure judiciaire en tant que telle modifie à elle seule la matière de son objet en la faisant passer à un autre état."

Carl Schmitt, préface à La notion de politique (1963).

mercredi 30 juillet 2014

Genèse de la crise syrienne (2011-2012)

En Tunisie, sous prétexte du suicide, le 17 décembre 2010, d’un vendeur de fruits et légumes ambulants, une succession de manifestations plus ou moins spontanées mélées de graves troubles à l’ordre public, conduisaient de manière confuse à la fuite, le 14 janvier 2011, du Président tunisien Ben Ali. S’en suivaient des évènements similaires en Egypte puis en Lybie, phénomène présenté comme un embrasement de partie des pays du Maghreb et du Proche-Orient, qu’on a dénommé « printemps arabes ». Le 11 février de la même année le Président Egyptien Hosni Moubarak démissionnait. En Lybie, une coalition composée des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada et de la France intervenait en mars, et le pays basculait dans la guerre civile.
 
Cependant, en Syrie, nation multiconfessionnelle, les premiers appels, réitérés chaque vendredi au sortir de la prière, à manifester pour obtenir le départ du Président Bachar AL ASSAD, stigmatisé comme alaouite, demeuraient d’abord sans effet. Puis, en l’espace de dix jours, suite à deux manifestations ayant bien eu lieu dans la ville de Deraa, les 15 et 16 mars, tardivement donc, plus laborieusement qu’en Tunisie ou qu’en Egypte, les évènements commençaient. A Deraa donc, le 16 mars, lors d’une manifestation de fonctionnaires revendiquant une augmentation de leur traitement, on comptait des morts et des blessés par balles, tant côté forces de l’ordre que côté manifestants. Où l’on peut soupçonner, comme en Egypte, le fait de mystérieux tireurs d’élite. Et la rumeur se répandait d’enfants arrêtés et torturés par la police pour avoir taggué un slogan hostile au chef de l’Etat. Des chaines de télévision saoudiennes et qatariennes diffusaient des scènes de manifestations de masse sensées essaimer dans tout le pays, des sectes islamistes tentaient de dresser la population sunnite contre les chrétiens, chiites et alaouites, tandis que de petits groupes armés commençaient de semer la terreur.
 
En l’espace de six mois la nation syrienne allait entrer dans les convulsions de la crise dont elle n’est toujours pas sortie à ce jour. Tout en assurant le maintien de l’ordre public, les gouvernements successifs promettaient et engageaient des réformes, et en gage de volonté d’apaisement plusieurs amnisties générales étaient prononcées par le Président, qui libéraient toutes les personnes arrêtées dans le cadre de la répression des manifestations (14 avril, 31 mai, 21 juin et plus tard encore, le 15 novembre). Mais semaine après semaine les choses allaient prenant une tournure de plus en plus tragique. Le 6 juin 2011 plus de cent vingt agents des forces de l’ordre mourraient à Jisr al-Choughour. Eté 2011 l’on voyait se multiplier les bandes armées. S’affirmait également, et ce dès le départ, la dimension hautement internationale du conflit. Pays stratégiquement situé, riche de ressources énergétiques (gaz et pétrole), fier d’une indépendance âprement conquise, d’une guerre mondiale l’autre, sur une armée d’occupation française qui croyait pouvoir succéder à l’Ottoman, aussitôt, dès 1948, pris dans le conflit régional, la Syrie était depuis 2001 l’objet de pressions internationales grandissantes. Les Etats-Unis d’Amérique, l’Angleterre et la France s’opposaient, au sein du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU), à la Russie et à la Chine (résolution occidentale repoussée le 27 avril 2011, le 3 août 2011, le 4 octobre 2011, le 4 février 2012, le 19 juillet 2012). Entraient en scène la Commission des droits de l’Homme de l’ONU et Human Rights Watch (rapports du 1er juin 2011, 11 novembre 2011, 15 décembre 2011 et 3 juillet 2012). Insistons enfin, dimension essentielle du conflit, sur l’intense propagande à laquelle se livraient depuis l’étranger certains responsables religieux, ce qui commençait d’entraîner, dès avant septembre 2011, l’entrée clandestine en Syrie, depuis la Turquie, l’Irak, la Jordanie et le Liban, d’étrangers venus de tous pays (plus de 80 nationalités différentes ont été recensées). En septembre 2011 le conflit se durcit de l’arrivée en Syrie de terroristes Lybiens.
 
En octobre 2011 on menaçait déjà la Syrie d’une intervention militaire directe de la part de l’OTAN. le 24 octobre les Etats Unis d’Amérique rappellent leur ambassadeur. Le 28 octobre 2011 « l’opposition » demandait à la communauté internationale « une zone d’exclusion aérienne », comme en Lybie, pays dont le chef venait de mourir sauvagement assassiné (le 20 octobre) lors d’un raid de l’OTAN soigneusement filmé et montré au monde entier. Le 12 novembre 2011 la Syrie était suspendue de la Ligue arabe, et Turquie et Jordanie appelaient au départ du Président Bachar AL ASSAD.
 
Depuis l’été 2011, mais plus encore à partir de l’automne 2011, l’armée syrienne s’était engagée dans des combats stratégiques contre la rébellion, avec notamment le siège de BABA AMR, quartier populaire de HOMS, quasi-vidé de ses habitants, où se regroupaient la plupart des takfiristes syriens. Ils proclamaient un émirat islamique en février 2012. BABA AMR était repris, le 1er mars 2011, marquant l’échec de la tentative de reproduire le scénario Lybien, et, avec l’emprisonnement des takfiristes, la fin de cette phase des combats. Mais les vagues incessantes de terroristes venus de l’étranger faisaient que le conflit allait s’éternisant, car entre temps les attentats s’étaient multipliés, semant la terreur dans tout le pays. Les attentats du 23 décembre 2011, du 6 janvier 2012 et du 10 février 2012 portaient déjà la signature d’un certain terrorisme. Le 11 février 2012, lendemain donc du dernier de cette série (qui continuera : 17 mars 2012, 27 avril 2012, 22 février 2013 etc.), le chef d’Al Qaida déclarait son soutien à la rébellion contre le Président Bachar AL ASSAD. Et le surlendemain, le 12 février donc, la Ligue arabe annonçait son intention d’armer l’insurrection.
 
Le 28 mars 2012 le Président Bachar AL ASSAD acceptait le plan de paix dressé par l’envoyé spécial du Conseil de sécurité de l’ONU. La légitimité du régime syrien ne pouvait plus être sérieusement contestée et l’ordre devait être rétabli, le conflit prenant nettement la noire tournure d’une lutte contre un terrorisme frappant aveuglément et orchestrant, de manière très médiatique, une violence à outrance que tantôt l’on impute au pouvoir pour dresser les esprits contre lui, tantôt que l’on revendique comme un trophée destiné à effrayer (massacres du 25 mai 2012, apparition d’un « Front Jabhat Al-Nosra », affilié à Al-Qaïda).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.